mardi 9 février 2016

jean crotti








Peintre dada, dessinateur et verrier actif à Paris. Mari de Suzanne Duchamp et beau-frère de Marcel Duchamp 
peinture, travaux sur/en verre, dessin, vitrail, peinture sur verre 

Né dans une famille d’origine tessinoise installée à Bulle, puis à Fribourg dès 1887, Jean Crotti part en 1901 à Paris. Son frère André, futur brillant chirurgien émigré aux Etats-Unis, le soutient financièrement et lui permet de suivre les cours de l’Académie Julian où il rencontre Edgar Degas. Dès 1907, il participe au Salon d’Automne et dès 1908 au Salon des Indépendants. En 1914, invité par son frère aux Etats-Unis, il fait la connaissance de Marcel Duchamp, rencontre essentielle pour son adhésion future au mouvement dada. Il présente en 1916 à la Montross Gallery de New York douze tableaux à l’occasion de l’exposition dite des «Quatre mousquetaires» à laquelle prennent part également Marcel Duchamp, Albert Gleizes et Jean Metzinger.

A son retour à Paris en 1916, il se lie avec la famille Duchamp. Il épouse Suzanne, la sœur de Marcel Duchamp, en 1919. Tous deux participent aux soirées et collaborent aux revues dadaïstes, 391 et New York Dada notamment. En 1921, ils signent le tract Dada soulève tout. Cette même année, ils présentent un grand nombre de leurs œuvres dadaïstes à la Galerie Montaigne à Paris puis, en 1923, à la Galerie Paul Guillaume. En 1925, Crotti expose à la Malik Galerie à Berlin. Ses tableaux, restés à Berlin, puis bloqués par la guerre, ne seront retrouvés qu’en 1953. En 1927, Crotti devient citoyen français.

En 1934, une conférence prononcée au Centre d’étude des problèmes humains à Paris intitulée Formes et couleurs en mouvement témoigne de l’intérêt de l’artiste pour la couleur en tant que phénomène lumineux. En 1937, il participe au décor du Pavillon de l’air à l’Exposition internationale, projet conçu par Robert Delaunay. En 1938, il dépose un brevet pour une nouvelle technique du vitrail sans monture de plomb, la technique dite des «gemmaux», qui sera largement répandue et exploitée, notamment pour rénover la station de métro Franklin-Roosevelt à Paris (1957).

Après la Deuxième Guerre mondiale, les voyages dans le Midi de la France et les visites à son frère aux Etats-Unis se succèdent, ainsi que de nombreuses expositions dans les deux pays. Il est nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1950. Il meurt le même jour que son frère, le 30 janvier 1958, à Paris; il sera enterré à Fribourg.

En début de carrière, sous l’influence des impressionnistes, les tableaux de Crotti sont marqués par la leçon de Georges Seurat dans la manière dont la lumière désagrège et pulvérise les formes. Après avoir été intrigué par les Fauves et les Nabis, Crotti découvre le cubisme auquel il adhère rapidement avec ses assemblages de plans échelonnés comme dans les Paysages synthétiques de 1911.

Mais prévoyant sans doute une dérive du cubisme vers un certain académisme, il rompt avec cette esthétique et tente l’aventure dada aux côtés de Marcel Duchamp et Francis Picabia. Il témoigne de sa fascination pour le grand maître de la provocation dans son Portrait de Marcel Duchamp sur mesure (1915, perdu), sorte de masque de fil de plomb et d’argent aux yeux de verre démesurés préfigurant les premiers «fils de fer» d’Alexander Calder. Le Clown (1916, Musée d’art moderne de la Ville de Paris) pourrait s’apparenter à un dessin de Picabia, dans son style mécanomorphe; la tension entre les différents éléments de la composition suggère le dynamisme de l’ère industrielle où l’homme moderne est assujetti à une nouvelle condition.

Ce n’est réellement qu’en 1921, avec sa femme Suzanne, que Crotti participe activement aux manifestations dada. Il dessine, écrit des poèmes, imprime des manifestes et des tracts qu’il met lui-même en page. Un manifeste d’octobre 1921, Tabu dada, lance le concept d’«une Pensée nouvelle, une Expression nouvelle, une Religion nouvelle» qui cherche à «exprimer le Mystère», cher au goût des dadaïstes pour l’ésotérisme. Les œuvres de cette époque révèlent, par leurs titres (Dans deux sens, 1916; Virginité en déplacement, 1916, Musée d’art moderne de la Ville de Paris; Idée en course de pocession, 1920; D’idées moteur et laboratoire, 1921, Musée d’art moderne de la Ville de Paris), non seulement une volonté d’étonner et de désorienter, mais également d’évoquer l’idée d’une cosmogonie où la peinture, traversée de lignes, de courbes, de trajectoires, de vecteurs interrompus par des disques, participerait au dynamisme du monde. Ainsi l’ambition de dada comme ouverture totale se conjugue et interfère avec celle de Crotti, qui va développer une peinture mécaniste, transposition des phénomènes ramenés à des combinaisons de mouvements physiques. Il adapte ainsi son vocabulaire formel à de véritables schémas de dessins industriels, de constructions métalliques, d’indications fléchées, de roues édentées, autant d’évocations de constructions futuristes et de bâtiments utopistes.

Mais Crotti, toujours soucieux d’éviter les formules et lassé du nihilisme de dada, se livre à d’autres recherches picturales. Il réalise alors une série de portraits qui avouent leur filiation cubiste, font intervenir la section d’or et évoquent même le maniérisme, notamment dans la stylisation de la toile intituléeDeux femmes au long cou (1922, Musée d’art moderne de la Ville de Paris). Intégrée à la composition architecturale du tableau, la figure, avec une forme et une couleur qui agressent séparément, redevient très présente et reflète l’esprit d’après-guerre qui entremêle art figuratif et abstrait.

Sa peinture évolue, à partir de 1924 environ, vers des compositions abstraites aux titres à référence musicale. Elle aboutit progressivement à une représentation d’un monde cosmique qui fait écho aux découvertes scientifiques du XXe siècle. Sans s’égarer dans le domaine des sciences, et affirmant pleinement son indépendance comme plasticien, Crotti applique ses expériences picturales au vitrail en créant dès les années 1930, à partir de projections de couleurs en mouvement, des compositions de particules de verre au flamboiement inégalable. En 1937, le décor exécuté pour l’Exposition internationale à Paris révèle un souci accru pour la représentation de l’espace. C’est alors que Crotti développe ses peintures cosmiques, quelquefois même dans une optique cinétique, où l’enjeu est l’éclatement de la forme au profit d’une matière nouvelle dont il s’agit de traduire le mouvement organique. Après la guerre, son goût du merveilleux et du fantastique gagne un certain nombre de compositions comme dans les dédales de Forêt en fête ouForêt en joie de 1948. Le rayonnisme de Michel Larionov ou de Natalia Gontcharova n’est pas loin, et Crotti va poursuivre ses expériences spatiales en introduisant l’idée d’un rythme giratoire. Dans Naissance d’un tourbillon (1949), le rythme est donné par la courbe que décrit une planète autour de l’astre solaire, comme si l’artiste, tel un nouvel Icare, défiait la pesanteur.

Participant à toutes les aventures de la peinture moderne, échappant pourtant à toutes les classifications de l’histoire de l’art durant un demi siècle, Crotti a une démarche singulière, que son beau-frère Marcel Duchamp, avec son humour habituel, repère dans une lettre en 1952: «[...] si je te dis que tes tableaux n’ont rien de commun avec ce qu’on voit généralement classé et accepté, que tu as toujours su produire des choses entièrement tiennes, [...] cela ne veut pas dire que tu aies droit à t’asseoir à côté de Michel-Ange.»

Œuvres: Musée d’art moderne de la Ville de Paris; New York, Museum of Modern Art; Zurich, Kunsthaus; Londres, Tate Gallery; Fribourg, Musée d’art et d’histoire.

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